Roll On The Script

Ma photo
Etudiante en Information-Communication à l'Université Paris VIII

jeudi 11 avril 2013

"Douze hommes en colère": Un leader et onze suiveurs dans un contexte judiciaire et libertaire

Ce premier film de Sidney Lumet datant de 1957 et tiré de la pièce éponyme de Reginald Rose écrite en 1953, est, je trouve, toujours aussi d'actualité quand il s'agit de défendre un idéal de justice et de tolérance aussi universel qu'intemporel. En plus de sa dimension humaniste très appréciée, j'ai surtout choisi de traiter ce classique du cinéma américain car je pense qu'il illustre assez bien les notions du leadership et des dynamiques de groupes en général, notions qui ont été par ailleurs beaucoup étudiées dans le domaine de la Psychologie de la communication, en particulier cognitive, avec l'aide de l'expérimentation.


Tout au long de ce huis clos, on assiste à un combat effréné de douze hommes tous uniques et entiers, détenant une personnalité, une psychologie toutes aussi différentes et personnelles, intenses et fortes les unes que les autres, qui ne relèvent finalement en rien – et cela est troublant – d'une quelconque forme caricaturale ou manichéenne, mais au contraire de mécanismes comportementaux complexes, dotés d'un réalisme frappant.

Tous portés jurés pour décider du sort d'un adolescent, ces quelques-uns sont-ils couronnés ou prisonniers d'une grande responsabilité. Ils doivent juger du sort du condamné : lui laisser la vie ou lui prodiguer la mort, à l'unanimité. Le sujet du débat est un jeune adolescent d'origine étrangère qui aurait assassiner son père. Plusieurs preuves dont les fameux témoins de la scène sont à l'appui. Mais celles-ci suffisent-elle à confirmer son inculpation ? Les témoins au nombre peu crédible de deux – vieil homme sénile et femme à lunettes entre deux âges – ont-ils eu raison de dire : « Il a tué » ? Sont-ils vraiment légitimes pour appuyer son accusation ? Ne sont-ils pas atteints d'une certaine forme de crédulité ? N'ont-ils pas tenu un discours affirmatif voilé de simples suggestions, de terribles approbations, auxquelles on devrait faire attention en y prêtant réflexion et discussion ?

Au départ, Davis, architecte de quarante ans, est le seul membre du groupe de jurés qui parvient à croire en sa « possible » innocence. « Possible » : mot qui revient souvent comme beaucoup d'autres illustrant le thème du doute qui remplit sagement – au fur et à mesure que Davis persuade les autres – l'âme des personnages et du film lui-même. La manière dont ce personnage représenté par un Henry Fonda charismatique, parvient calmement à convaincre tous les autres, un à un, non pas de l'innocence certaine de ce jeune homme mais d'une autre qui serait humblement envisageable, est juste jubilatoire. Voir ces visages d'hommes au départ si sereins et accomplis se changer en de tristes masques de cire figés et finis, ne peut être que plaisant à regarder. Oui, Davis peut être considéré comme un leader, comme un meneur de groupe, car il réussit à influencer tous les autres, à les faire adhérer à sa pensée, avec réflexion et raison. Ils le suivent. Difficilement, progressivement mais sûrement, jusqu'au dernier juré qui finira par craquer et libérer le fond de ses problèmes personnels et secrets.

Car bien qu'ils proviennent tous de milieux sociaux différents, qu'ils exercent des professions toutes aussi variées, ces hommes sont tous empreints d'aprioris, de préjugés communs. Ils sont tous têtus, obstinés, convaincus qu'ils ont des idées et des opinions alors qu'ils ne sont que des pions ; Tels des chevaux portant des œillères qui avancent sans savoir que derrière, un cocher les tirent et les dirigent, ici le cocher étant leur propre et inconsciente ignorance, et non un Davis qui viendra au contraire les en délivrer. Nous pouvons peut-être illustrer cette observation avec l'expérience de Asch au sein de laquelle ce psychologue s'adonne à l'étude du comportement des individus en situation de groupe. Celui-ci démontrera que dans cette situation, l'individu devient conformiste et influençable par les autres membres du groupe. On pourrait même rajouter qu'il est en quelque sorte bercé d'illusions voire d'un obscurantisme dans lequel il se complairait inconsciemment. Il n'aurait aucune névrose car ne réfléchirait pas, ils pourrait tout à fait être considérés comme l'archétype de la normalité. Même si, plutôt que « normal », le définir comme « normé » serait sans doute plus approprié. Ces onze messieurs bavards et désintéressés du début rêvent d'en finir, de quitter leur triste et fade réalité pour vaquer à leurs loisirs, comme, par exemple, assister à un match de baseball. Ces onze là sont d'abord protégés du doux et chaleureux châle de la conviction, s'opposant clairement au lourd couvercle de l'incertitude, du doute qui pourrait être relatif à la remise en question de ses propres pensées, voire de soi-même. Seulement, je crois que le doute n'est pas une tare, mais au contraire un mode de comportement tout à fait respectable frisant même un certain idéal de comportement humain. Le doute permet de réfléchir et ainsi de trouver des solutions à des situations problématiques. Selon le psychologue américain contemporain Robert Stenberg, le leader serait un créateur, quelqu'un qui aurait l'intelligence d'écouter le reste du groupe, de prendre en compte ses dires et d'observer les éventuels tensions qui puissent s'y trouver pour mieux essayer de les résoudre dans le but de « créer » un nouveau fonctionnement, un système idéal d'interactions et de relations. Ces hommes sont au départ tellement sûrs et semblent être tellement atteints d'une confiance frénétique en des preuves plus ou moins argumentées et convaincantes, qu'ils en deviennent presque fous et hystériques. Davis va douter de leurs propos, les renverser et en créer de nouveaux, auxquels ils vont tous finalement adhérer.

Une ambiance d'anarchie régnera dans cet étroit bureau de discussion, le plafond sera lourd et il pèsera sur des esprits en tension pendant plus de deux longues heures de sueurs. Mais Davis, qui, déjà, au début de la rencontre, va silencieusement observer les bavardages sans conséquences des autres hommes, saura écouter avec attention les raisons inappropriées et éloquentes du jugement des autres, ce qui lui permettra de jouer davantage d'arguments et d'engagement pour finalement contrer leur discours, discours teinté de fougue plus impétueuse que sérieuse, d'un certain je-m'en-foutisme, aussi égocentrique que triste, qui peut tout aussi rendre triste.

Une certaine hiérarchie entre les personnages se créé et l'anarchie s'ordonne. Plus les avis qui votaient « coupable » se convertissent en « non coupable », plus les âmes de chacun s'apaisent et se décomplexifient, s'humanisent.

Le premier homme convaincu par Davis est le plus vieux des hommes, le plus respectueux et sans doute le plus respectable de tous les autres. Après lui, plus Davis réussira à convaincre tous les autres d'embarquer sur son bateau de la raison – cette raison n'étant que celle de la sagesse, du doute et de la réflexion – plus le reste sera influencé et regrettera de rester de plus en plus seul, à nager dans une mer de plus en plus houleuse et vertigineuse. Le dernier des hommes convertis, qui jusqu'à la fin où il craquera s'obstinera à conserver son premier jugement qualifiant l'adolescent de « coupable », arborera un comportement de moins en moins stable, de plus en plus colérique qui le laissera dire des mots ne voulant plus rien dire, trahissant finalement un homme vaincu par sa propre et démesurée fierté. Il sera progressivement marginalisé par ses confrères qui lui tourneront un à un le dos, tous maintenant rassemblés autour de l'illuminé Davis. Davis, qui ne semble montrer aucune haine, juste de la philanthropie et de l'amour, sera aussi celui qui finira par comprendre ce dernier et à le consoler. Car Davis est un leader de cœur. Plus qu'un simple rhéteur ou un beau parleur, on pourrait dire qu'il s'agit d'un leader de fait, et non de droit, et qui s'inscrirait dans un style de leadership de type participatif. Car il devient leader sans l'avoir chercher ni voulu, juste en ayant naturellement partagé des convictions qui prônent un certain idéal de vie avec les autres jurés, tout en ayant adopté un discours aussi logique que charismatique. On comprendra finalement que Davis n'est rien d'autre qu'un citoyen qui revendique ses propres droits ainsi que ceux des autres ; et que si je le considère ici comme un leader au sein de ce groupe de jurés c'est sans doute parce qu'il est peut être plus impliqué que les autres dans cet esprit de recherche d'un certain idéal de système sociétal. Et que les autres ne constitueraient que - malheureusement bien qu'inévitablement - la grande lignée de moutons de Panurge que nous sommes, avons été, et seront tous plus ou moins, dans nos sociétés civilisées, d'hier, d'aujourd'hui et de demain.

(Article rédigé dans le cadre du cours Psychologie de la communication)